fermer

Rejoignez le Carbon Club Aktio !

1 email par mois, 2 articles de fond

Merci, votre inscription à bien été prise en compte !
Il semblerait qu'une erreur soit survenue, veuillez réessayer !
Partager :
arrow_purple
Retour aux articles

Courage et coopération au service de l’entreprise de demain : entretien avec Yannick Servant

Temps de lecture : 8 minutes

Le mardi 25 octobre 2022, la Convention des Entreprises pour le Climat a rendu le rapport final de sa première édition, appelant à une grande bascule vers un modèle d’entreprise régénérative. Fondée en 2020 et inspirée de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), la CEC a notamment rassemblé 150 dirigeantes et dirigeants prêt.es à repenser leur entreprise et activités pour accélérer leurs stratégies bas-carbone et se reconnecter au vivant. Partenaire de la CEC et aux côtés des bénévoles lors de la session #4 à Marseille pour la mesure du Bilan Carbone de l'événement, Aktio s’est entretenu avec Yannick Servant, co-fondateur de la Convention des Entreprises pour le Climat pour revenir sur les objectifs et les enseignements de ces premières sessions de travail.

Convention des Entreprises pour le Climat : origines et déclic

Comment est né le projet de la Convention des Entreprises pour le Climat ?

Le déclencheur pour moi, c'est une rencontre. Une rencontre avec Eric Duverger, qui était chez Michelin depuis 23 ans, et qui a eu une idée de Convention des Entreprises pour le Climat.
Et 23 ans ça laisse le temps d'observer et de réfléchir. Afficher “People, Planet, Profit” et se rendre compte que ça reste 97% Profit dans les équations des grandes entreprises, enchaîner le constat d'événements climatiques, d'études sur l'effondrement de la biodiversité, ça laisse le temps de bien maturer, comme un bon whisky, et en sortant, on se dit : ‘Non, je ne peux pas continuer comme avant.’

On s’est retrouvé à six autour d’Eric et de son idée pour la faire éclore. Je venais du monde des start-ups et j'avais commencé à beaucoup questionner la course à l'hypercroissance, l'impératif des licornes, surtout du point de vue RH (Ressources Humaines). En voyant le nombre de burn-out autour de moi et le cynisme ambiant, je me suis demandé si c’était vraiment un modèle désirable. Et c'est dans un deuxième temps que les sujets environnementaux se sont connectés à mes réflexions. [...]. Beaucoup de gens étaient sur ces sujets-là, et cela a été accéléré durant le deuxième semestre 2020.

La sortie de Covid a été rude et fertile pour énormément de personnes qui vivaient avec leur dissonance.

Et naturellement, vous aviez l’idée de faire une déclinaison de la Convention Citoyenne pour le Climat pour les entreprises ?

Pour rappel, la Convention Citoyenne pour le Climat a rassemblé 150 citoyens tirés au sort, représentatifs de la diversité de la société française, autour d’une réflexion commune sur la réduction des émissions des gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030. Elle a ainsi émis 149 propositions structurantes pour la société française qui ont été présentées au Président de la République en 2020. 

En juin 2020, Cyril Dion prenait la parole et dans le rapport de la Convention citoyenne, il invitait le monde de l'entreprise à jouer le jeu, à prendre toute sa part.” 

Dans un communiqué de presse au lancement de la CEC en décembre 2020, Eric Duverger déclarait notamment : “Les citoyens ont ouvert la voie avec la Convention Citoyenne, les entreprises ont beaucoup de cartes en mains, elles doivent maintenant se placer au cœur de la Transition. Le temps presse, c'est pourquoi nous avons choisi comme slogan : "La course est lancée !".

Yannick Servant précise :

Si on définit le quoi et le pourquoi de la CEC, on peut dire que le quoi, il est contenu dans le nom et ça a vraiment été intentionnel d'avoir le nom évocateur de la Convention Citoyenne. Le pourquoi, c'était une prise de relais à faire dans le fameux triangle de l'inaction. Si les citoyens ont commencé et que les entreprises s'y mettent, et bien finalement la puissance publique n’a plus d’excuse pour accélérer significativement elle aussi.

👉 Le “Triangle de l'inaction”, théorisé par Pierre Peyretou, illustre une situation de blocage collectif où chacun pointe du doigt les responsabilités des autres. Il s’opère généralement entre 3 acteurs : les pouvoirs publics, les entreprises et les citoyens. 

Schéma du triangle de l'inaction - Source : Pierre Peyretou

Les objectifs de la CEC

Quels objectifs vous êtes-vous donnés lors du lancement de la CEC ? Considérez-vous que vous les avez atteints ?

Même bien plus que ça ! [...] L'objectif était simple : 150 entreprises, comme les 150 citoyens, qui vivent un parcours intense qui mène à une transformation ambitieuse. Et en voyant le résultat, on est vraiment allé bien au-delà de ce qu'on espérait.

Il y a des choses qui vont hyper loin et des entreprises qui regardent vraiment en face le sujet du renoncement avant de se réinventer. Elles disent : ‘telle catégorie de produit n'est pas compatible avec les limites planétaires, donc à horizon 2027 je fais le choix d’arrêter la production, ce qui a des vraies implications sur l'emploi, le chiffre d'affaires, etc.’ On a dépassé le moment de prise de conscience, et l’on arrive au passage à l’action, où il faut bien que les premiers courageux se lancent.”

“Concernant le déploiement de la CEC, on s'imaginait juste y passer 2 ans et faire une seule Convention. Désormais, on a 5 demandes par semaine de nouvelles Conventions et on en a une dizaine dans les tuyaux. Il y a une CEC Consulting qui est en train de se monter. Nous avons des demandes qui viennent de Suisse, de Belgique. En décembre, nous serons à Berlin avec Éric pour parler avec un groupe de 150 CEO engagés sur les sujets climat. Et je travaille actuellement sur un pitch pour une CEC Grands Groupes pour une des entreprises du CAC 40." 

Je pense qu’aujourd’hui, on a toute la matière méthodologique, pédagogique, les exemples et les témoignages pour produire l’équivalent du cadre méthodologique “business model generation”, mais en version vraiment écologique. Si on arrive à le faire, cela voudrait dire que notre projet peut, en termes d'utilité, de portée et d'accélération, dépasser de très loin toutes nos capacités opérationnelles, et inspirer des milliers d’entreprises pour se transformer.

Quels résultats pour la première année d'existence de la CEC ?

Avec la CEC, quels facteurs clés de succès avez-vous identifiés pour qu’il y ait une véritable démarche de transition qui se mette en œuvre ?

Le fond du problème se trouve en fait dans le dilemme du prisonnier. Pour une entreprise c'est de se dire : “Oui, je pourrais produire de façon éco-responsable, sourcer localement, payer mieux mes salariés, travailler avec des matières qui sont le moins polluantes possibles et faire de la R&D pour ne pas avoir de plastique dans mes produits, etc. Mais si je suis tout seul, mes concurrents vont prendre un malin plaisir à me regarder perdre mes parts de marché. 
Et ça c'est paralysant parce qu’un décideur économique ne garde pas son job à l’aune de la capacité à long terme de son business à s'inscrire dans les règles d'une planète vivable, mais garde son job sur base de son EBITDA.
Donc tout le challenge, c'est au niveau sociétal.

En conséquence, la théorie du changement de la CEC, c'est vraiment l’idée de rompre le dilemme du prisonnier par la coopération.


Pour opérer cette théorie du changement, Yannick Servant explique : 
On a fait le pari de réunir 150 courageux qui avaient envie de coopérer, qui étaient prêts à s'ouvrir, et je pense qu'ils n’avaient pas du tout conscience à quel point ils allaient s'ouvrir personnellement avant de se lancer dans l'aventure, et c’est ce qui en fait un groupe extrêmement soudé et ce qui aide à entretenir le courage. Grâce à ce groupe, on devient encore plus légitime puisque la nature de la figure du dirigeant.e c'est que c'est quelqu'un qui est beaucoup plus écouté.e par le politique parce qu'il permet de remplir deux promesses : la croissance et l'emploi. [...]. Si on dit en plus que ce collectif de dirigeantes et dirigeants pèse 250.000 emplois et 50 milliards de chiffre d'affaires, et que cela va peser encore plus avec la communauté qui s'agrandit. Ça change vraiment les choses !” 

Si on leur demande, je pense que la majorité dira qu’ils ont vécu quelque chose d'intense. On leur donne des outils qui les convainquent et on les met sur une trajectoire de transformation accompagnée où l'intelligence collective leur ouvre des perspectives fantastiques. Et ils perçoivent que ça marchera si c’est déployé à grande échelle. Il n'y a pas besoin de débriefer, ils partent tout seuls à toute vitesse. C’est pour cette raison qu'il y a 10 CEC qui sont en train de se lancer en même temps maintenant.
Pour nous, les ingrédients c'est de réunir de bonnes personnes, les mettre dans les bonnes conditions pour qu'ils prennent le temps, reçoivent l'information du constat,
comprennent la situation pas juste avec la tête, mais la ressentent avec les tripes. Ça permet ainsi de requalifier le sentiment d'urgence et donc de regarder différemment le sujet de la transformation des business.

Certains voient dans la transformation une sorte de contrainte, qu’en pensez-vous ?

A partir du moment où l’on fait du système de contrainte son terrain de jeu, on adopte une mentalité qui est extrêmement différente. Par exemple, le Directeur Général de Renault Trucks [Christophe Martin] qui en partageant sa feuille de route dit qu’il faut réduire le nombre de camions qu’il produit et réduire les kilomètres parcourus par ses camions. Dans ce cadre-là, il en venait à nous partager qu’il avait retrouvé son excitation entrepreneuriale de ses 25 ans.

Le bilan carbone du point de vue de la Convention des Entreprises pour le Climat

Dans ses 10 propositions destinées au monde politique, économique et institutionnel, il y a une recommandation quant à l'obligation de faire un Bilan Carbone scope 3 pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Qu'est-ce qui fait que pour vous cela doit figurer parmi les 10 mesures les plus structurelles ?

La session 3 de la CEC était dédiée à la comptabilité extra-financière, dont le thème était de compter ce qui compte vraiment. Tous les dirigeants qui passent par une CEC ont conscience que si on n'arrive pas à quantifier les choses, on n'arrivera pas à les changer. C'est leur culture, c'est notre culture. Là-dessus, pour moi, c'est la bonne culture, celle du chiffre et celle de la rationalité.[...] Il faut réussir à trouver le point de rencontre entre la culture du chiffre et la protection du vivant. L'un peut accompagner l'autre. Donc le Bilan Carbone, c'est un point de départ parce que, par exemple, sur l'industrie du bâtiment, mesurer le carbone c’est prouver qu'on avance. [...] Le carbone est emblématique et parlant parce que c'est vraiment la limite planétaire qu'on peut quantifier hyper finement.
C'est le mieux qu'on puisse faire avec les moyens qu'on a aujourd’hui.

Il ajoute : 

La posture qu'on veut avec cette proposition, c'est de dire : rendre obligatoire une méthode et un outil où il y a du consensus, cela ne se discute pas. De même que si on nous envoie un commissaire aux comptes si on ne fait pas sa comptabilité proprement, on nous envoie un commissaire aux comptes carbone si on ne fait pas ça proprement. 

Sur le scope 3 [les émissions indirectes, en amont et en aval de l’entreprise], il y a un enjeu de consensus et d’alignement des méthodologies de calcul. L’enjeu, c’est d’accélérer l’élaboration de ce consensus.

En fait, il faut juste que le calcul du scope 3 soit généralisé pour y arriver. Cette proposition reflète cela, tout simplement : s’il y a une forte incitation, puis une contrainte sur la publication d’un Bilan Carbone scope 3 en partageant sa méthode, cela va accélérer à vitesse grand V la validation de consensus pour le Bilan Carbone scope 3 pour tout le monde.” 

Avec le scope 3, on a à la fois un enjeu d’universalité, de bienveillance - car on sait que ce n’est pas toujours facile à mesurer -, et donc de partage de sa méthode de calcul. Grâce à ce processus, les entreprises seront parties prenantes d'une co-construction du consensus. 

La co-construction entre le pouvoir public et le monde de l’entreprise, c’est vraiment ça qu’on vise, et ce que l’on a présenté dans le rapport.

Grâce à cette interview, on entrevoit vraiment la puissance de transformation des modèles portée par la coopération et l’intelligence collective entre les entreprises. Avec la multiplication des initiatives de CEC partout en France, et au-delà de nos frontières, on entrevoit également une réelle volonté de mettre un “coup de pied dans le triangle de l’inaction”.

👉 Retrouvez le rapport final de la première Convention des Entreprises pour le Climat (rendu public le 25 octobre 2022)