De l’envie d’agir à la structuration d’un modèle combinant plateforme SaaS et conseil, d’un projet entrepreneurial à une intégration dans un grand groupe, Aktio s’est développé sur un marché au croisement de la digitalisation et de la lutte contre le changement climatique, entre pressions réglementaires, attentes croissantes des parties prenantes (grands groupes, fonds d'investissements, banques...) et réalités du terrain. Voici le récit de ces cinq années de croissance et d’enseignements. Cinq années pour bâtir les fondations d’un futur bas-carbone.
Avant Aktio, il y a une amitié, une envie d’agir et… une bière. L’histoire démarre avec Thibault et Alex qui se rencontrent sur les bancs de l’École Polytechnique. Tous deux se forment en sciences de l’environnement et partagent l’envie de monter un projet à impact.
« On discutait souvent de ce qu’on pourrait construire ensemble dans le domaine environnemental. » se souvient Thibault. À ce moment-là, il a déjà plusieurs années d'expérience dans le domaine de la comptabilité carbone. Et ce qu’il voit sur le terrain l’interpelle : des bilans carbone gérés sur d’antiques fichiers Excel, une approche peu fluide et déconnectée des standards modernes du SaaS.
C’est justement cette frustration qui plante la graine d’Aktio : comment rendre la comptabilité carbone plus accessible, plus simple, plus efficace ?
C’est alors qu’entre en scène Laurent. Passionné par les questions climatiques depuis plus de 15 ans, il cherche à aligner ses convictions et sa carrière. Mais, sans expérience dans le domaine, difficile d’intégrer une structure existante. Sa solution : la créer lui-même. Il rejoint alors Le Wagon pour apprendre à coder, au même moment qu’Alex. Très vite, il commence à développer un prototype de calculateur carbone.
Il poste un message sur Slack : « J’ai commencé à bosser sur un logiciel carbone B2B, qui veut s’y mettre avec moi ? ».
Alex répond présent. Thibault aussi, même s’il pense au départ simplement donner un coup de main. « Je me disais que j’étais là juste pour filer un coup de pouce à leur démarrage, mais au fil des discussions, j’ai senti que ça matchait bien entre nous trois. On était très complémentaires dans nos expériences et nos potentiels apports. ».
Une idée, une bière, trois cerveaux. De fil en aiguille, l’évidence s’impose : ce ne sera pas un side-project ou une expérimentation passagère, mais un vrai projet entrepreneurial porté à trois. Une vision SaaS, une vision climat, une vision business. Trois parcours, trois motivations, un seul cap : rendre la transition bas-carbone des entreprises plus simple, plus concrète, plus mesurable.
Mais une idée, aussi claire soit-elle, n'est rien si elle n'est pas mise en œuvre. Lancer une entreprise, c’est comme tracer une route en terrain inconnu : on avance avec une boussole bricolée de convictions, quelques repères solides… et l’acceptation que certains virages feront partie du paysage.
Laurent, lui, voyait grand : l’enjeu, pensait-il, serait d’automatiser la collecte de données, notamment celles du scope 3, grâce aux API et à l’Intelligence Artificielle. « En 2018-2019, le machine learning s'était déjà largement diffusé. Je pensais qu’on irait assez vite vers une forme de matching automatique entre les données d’activité et les facteurs d’émission. ». Mais, en réalité, le terrain s’est révélé bien plus artisanal. Aujourd’hui encore, ces données sont souvent dispersées, ce qui rend l’automatisation beaucoup plus difficile que prévu. Résultat : encore très peu d’IA sur le sujet et beaucoup plus d’accompagnement humain que ce qu’il imaginait.
À l’inverse, d’autres intuitions se sont révélées justes dès le départ. Alex, par exemple, n’a jamais douté qu’il y avait un vrai sujet autour de la modernisation du Bilan Carbone. « On voyait clairement que la majorité des bilans étaient faits sur des fichiers Excel pas transparents, avec des consultants externes. C’était lourd, opaque et surtout… pas réplicable. ». Ce constat a renforcé leur volonté de proposer une solution plus transparente et plus fluide qui redonne aux entreprises la main sur leur propre trajectoire carbone.
Trop souvent, les entreprises se retrouvaient avec des bilans dépourvus de détails sur les calculs ou de fichiers sources. Résultat : elles étaient incapables de comprendre ou de réutiliser leurs données.
« On a identifié tout de suite qu’il fallait casser ce modèle-là. Notre objectif, c’est de faire en sorte que les calculs soient transparents, que la vraie valeur vienne de l’accompagnement et surtout de la capacité à engager des actions de décarbonation derrière. » explique Thibault.
Et puis, il y a ce qu’on pressent… et la réalité terrain. « Même dans de grandes entreprises avec beaucoup de ressources, on s’est rendu compte que les équipes manquaient de compétences sur ces sujets. » explique Laurent. « Le besoin d’accompagnement, on l’avait anticipé. Mais pas à ce point. » ajoute Thibault.
C’est d’ailleurs ce qui structure le modèle hybride d’Aktio aujourd’hui : une plateforme SaaS combinée à une équipe de consultants internes et partenaires pour permettre aux entreprises de monter en autonomie progressivement. « On est convaincus que la comptabilité carbone est un métier qui va devoir s’internaliser, surtout à partir d’une certaine taille d’entreprise. Pour ça, il faut des gens compétents et un bon outil. On veut fournir les deux. ».
Le modèle Aktio repose donc sur un partenariat de long terme avec ses clients. « On préfère miser sur la fidélisation plutôt que l’acquisition à tout prix. Ce qui compte, c’est de faire progresser les entreprises dans la durée, de grandir avec elles. ».
Sur le terrain, tout n’a pas été linéaire. « Il y a eu pas mal de questions sur la meilleure manière d’organiser l’outil, notamment sur la collecte de données. » raconte Laurent. Comme pour beaucoup de jeunes projets, les débuts ont été faits d’exploration, d’essais, de réflexions parfois longues mais indispensables. C’est en faisant, en itérant avec les utilisateurs, que les idées se précisent et que les bonnes directions émergent.
Par exemple, avant de pouvoir aboutir à l’assistant de collecte tel qu’il existe aujourd’hui, il a fallu passer par une phase plus manuelle. « Certains de nos premiers projets ont été réalisés en grande partie sous Excel, une étape sûrement indispensable pour identifier les fonctionnalités à développer. ». Ces tâtonnements faisaient partie du chemin. Ils ont permis de mieux comprendre les besoins et de poser les bases solides de l’outil d’aujourd’hui.
À ces défis opérationnels, s’est vite ajoutée une autre difficulté : celle d’un contexte économique peu prévisible. Pour Aktio, l’enjeu ne se limitait plus à bien fonctionner, mais à tenir le cap, car dans ce nouveau paysage, la stabilité financière devenait une condition sine qua non de survie. « On a fait notre levée de fonds en 2021, puis le marché du financement s’est resserré dès 2022. La question de l’équilibre financier est devenue centrale : comment financer la suite ? ».
Avec cette nouvelle donne, des leviers externes se sont révélés précieux. Le programme Décarbon’Action porté par Bpifrance et l’ADEME, par exemple, a permis à Aktio de soutenir son développement auprès des PME, un segment clé.
« On a la chance en France d'avoir les pouvoirs publics qui mettent en place des dispositifs pour aider les PME à lancer leur démarche de transition bas-carbone. » souligne Alex.
Mais les défis restaient nombreux. Car à la même période, un autre phénomène venait bousculer les équilibres : l’explosion de la concurrence. « Tout le monde s’est lancé en même temps. Forcément, ça a tiré les prix vers le bas. Côté financement, c’était plus compliqué de se différencier dans un marché où tous les acteurs s'observent et s'inspirent des bonnes idées de chacun. » poursuit Alex.
Paradoxalement, cette intensification de la concurrence a aussi validé l’intuition initiale. « Le fait que plusieurs acteurs aient émergé en même temps démontre qu’on était sur un vrai sujet, avec une forte traction. Il y avait un vrai besoin. » analyse Thibault. Dans cette course, le défi n’était donc pas seulement d’exister, mais de se distinguer. Proposer autre chose qu’un simple Bilan Carbone. Offrir une solution complète, un accompagnement dans la durée, une capacité à embarquer les équipes et à structurer une vraie trajectoire de décarbonation : voilà la recette adoptée par Aktio.
Heureusement, Aktio a pu compter sur un moteur puissant : l’engagement. Celui de l’équipe fondatrice, bien sûr, mais aussi et surtout celui des collaborateurs. « On a eu la chance d’attirer des jeunes - et des moins jeunes - diplômés très motivés par les enjeux climatiques. Ça change tout. Ce sont des personnes qui viennent d’abord pour le sens du projet. Toutes les boîtes n’ont pas cette chance-là. » reconnaît Thibault. Dans un secteur où la pression monte, cette énergie collective fait toute la différence.
Après cinq années de développement et de défis, Aktio atteint un tournant majeur en rejoignant le groupe Apave en mars 2025. Cette alliance ouvre des horizons plus vastes pour l’entreprise, lui permettant de renforcer et accélérer ses ambitions. « Rejoindre Apave est une chance pour nous. Nous allons par exemple pouvoir accélérer le développement de notre logiciel, et développer notre offre de formation pour être davantage alignés avec notre vision de la comptabilité carbone. » s'exclame Thibault.
Cette nouvelle étape est un levier grâce à la base client d'Apave et sa capacité à déployer des solutions à grande échelle. Thibault poursuit : « Apave possède une base de clients solide et de nombreuses synergies à exploiter. Grâce à cela, nous allons pouvoir toucher un public beaucoup plus large et démultiplier notre impact. ». Cette opération va également permettre à Aktio de renforcer sa plateforme et de mieux répondre aux évolutions rapides des réglementations.
« Les besoins des entreprises en matière de reporting sont de plus en plus complexes. Avec des réglementations comme la CSRD ou le CBAM, il y a une pression croissante. L’acquisition d’Aktio par Apave nous donne les ressources nécessaires pour améliorer et affiner notre produit pour proposer des solutions toujours plus adaptées. » ajoute Alex.
Si Aktio a fait du chemin en cinq ans, les fondateurs s'accordent à dire que ce n'est que le début. L’objectif est toujours de renforcer la transition des entreprises vers une économie décarbonée, mais avec un développement plus rapide et plus ambitieux, grâce au soutien d'Apave. « Les choses ne vont jamais aussi vite qu'on le voudrait, surtout quand il s'agit de changer des mentalités et des comportements. Avec Apave, nous pouvons passer à une phase de développement beaucoup plus rapide. » explique Laurent.
Depuis cinq ans, les lignes ont clairement bougé. La dynamique climat ne repose plus uniquement sur la réglementation. Elle est désormais alimentée par une pluralité d’acteurs : investisseurs, banques, grands groupes engagés dans une démarche décarbonation, fédérations professionnelles... Tous attendent des preuves concrètes d’engagement.
À cela s’ajoute une pression stratégique liée à l’image. « De plus en plus, les entreprises réalisent qu’un bon reporting climat ne se limite pas à un enjeu de conformité, mais qu’il joue également un rôle dans la marque employeur et la réputation auprès des clients. » explique Laurent. S’engager sur le climat, ce n’est plus seulement cocher une case : c’est marquer des points.
Et ce mouvement ne fait que commencer. Pour Laurent, il ne fait aucun doute que les prochaines années marqueront un tournant encore plus décisif.
« Sur les cinq à dix ans qui viennent, il y aura de plus en plus de réglementations prescriptives et contraignantes, adaptées à chaque secteur. Les pénalités financières pour les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements vont se généraliser : on commence à le voir dans des appels d’offres, dans les prêts bancaires avec des malus et dans la valorisation de certaines entreprises. Il faut se préparer à cela. On voit également apparaître des trajectoires sectorielles plus fines, des collaborations entre PME et grands groupes pour décarboner les chaînes de valeur. Et ça va continuer de se complexifier. Il y a un moment où l’inaction va se voir : tous ceux qui prétendent agir sans que les émissions baissent… ça ne passera plus. ».
En clair, les promesses ne suffiront plus. La crédibilité passera par des résultats mesurables.
De son côté, Thibault observe une autre dynamique, tout aussi structurante : celle de l’ajustement entre ambitions, attentes du marché et réalité terrain.
« Il y a un contexte réglementaire qui est aujourd’hui challengé – on le voit avec la CSRD. L’objectif, c’est de rester réaliste,pragmatique… et ambitieux ! La réalité du climat et les réglementations s’influencent mutuellement. Même si, comme toujours, la réglementation a un peu de retard. Il faut du temps pour que les acteurs comprennent qu’elle est là pour une bonne raison. On est en plein dans cette phase d’ajustement. Mais je pense que ça va continuer d’aller dans le bon sens et que ça va vraiment faire bouger les lignes. ».
L’avenir de la décarbonation en entreprise, selon eux, s’écrira donc au croisement de plusieurs forces : des exigences réglementaires plus fines, une pression stratégique croissante, mais aussi une montée en compétences des organisations elles-mêmes. C’est là qu’Aktio entend jouer un rôle clé : fournir les outils, l’expertise et le cadre pour aider les entreprises à passer du discours à l’action.
En cinq ans, Aktio est passée d’un prototype à une solution reconnue, intégrée à un grand groupe et adoptée par plus de 500 clients. Mais derrière les chiffres, ce sont surtout des moments partagés et une conviction commune qui dessinent les contours de cette aventure. Alors, que restera-t-il de tout ça dans cinquante ans ?
Laurent sourit à l’évocation des débuts : « Je me souviendrai sûrement des démos où je priais pour que rien ne plante parce que je savais exactement qu’il y avait des couacs… Il ne fallait surtout pas cliquer au mauvais endroit. C’était tout un art. ».
Alex, lui, garde en mémoire l’intensité des premiers mois et la force du collectif : « Ce sont les liens tissés qui me marquent le plus. Les séminaires d’équipe, les moments partagés… Et surtout cette phase de lancement en 2020, confinés chacun chez soi, où on passait nos journées à coder, complètement absorbés. On avait une mission et on y croyait à fond. ».
Pour Thibault, il est important de ne pas oublier d’où l’on vient : « Ce que j’espère, c’est qu’on n’oubliera pas à quel point on est partis de loin ! Dans cinquante ans, j’aimerais qu’on puisse dire qu’on a, chacun à notre échelle, contribué à faire avancer les choses. Et pour cela, il faut garder en mémoire le chemin parcouru.».
Car c’est bien cela, Aktio : une aventure humaine et collective, née d’une envie d’agir, nourrie par les réalités du terrain et portée par une conviction profonde. Celle que la transition carbone des entreprises peut et doit devenir un levier de transformation.