Dans un premier article, nous avons posé les bases des Dividendes Climat : leur définition, leur fonctionnement et leur complémentarité avec le Bilan Carbone. Nous avons vu qu’ils permettent de mesurer les émissions évitées ou séquestrées et de les traduire en un indicateur extra-financier standardisé. Ce deuxième volet se concentre sur une autre question essentielle : quel rôle peuvent jouer les Dividendes Climat pour les acteurs économiques ? Autrement dit, comment entreprises et investisseurs peuvent-ils s’approprier ce nouvel outil, en tirer parti et démontrer leur impact positif de manière crédible et transparente ?
L’ambition des Dividendes Climat est d'encourager l'investissement dans la décarbonation pour aider des solutions innovantes et des activités réellement décarbonantes à émerger.
Du point de vue des investisseurs, les Dividendes Climats permettent de mesurer et valoriser, via un indicateur concret, leur contribution à la transition bas-carbone de manière tangible, transparente et standardisée. En revendiquant une part mesurable de l’impact climatique positif d’une entreprise, comme les émissions de CO₂ évitées ou séquestrées, ils démontrent concrètement leur contribution à la décarbonation de l’économie. Ce mécanisme concerne aussi bien les investisseurs en capital (equity) qu’en dette, et leur permet de différencier leurs portefeuilles en mettant en avant des actifs alignés sur des objectifs environnementaux, attirant ainsi l’attention de nouveaux partenaires et souscripteurs de plus en plus sensibles à ces enjeux climatiques.
Grâce aux Dividendes Climat, les investisseurs sont désormais en mesure de prouver et de communiquer sur la contribution climatique positive de leur portefeuille en toute transparence auprès de l’ensemble des parties prenantes. Ils sont une preuve de la pertinence de leur investissement dans des solutions durables. Jusqu’à présent, chaque nouvel investissement venait mécaniquement alourdir le Bilan Carbone des investisseurs, proportionnellement à leur participation au capital des entreprises financées. Les Dividendes Climat offrent une nouvelle perspective : celle de valoriser l’impact climatique positif de leurs investissements, en rendant visible et mesurable la contribution de l’allocation de capital à la décarbonation.
Prenons l’exemple d’un investisseur qui soutient une PME spécialisée dans la vente de voitures électriques. Grâce aux Dividendes Climat, cet investisseur peut se voir attribuer une part des émissions de CO₂ évitées par les conducteurs de ces véhicules, en comparaison avec l’usage de voitures thermiques. Ces émissions évitées, quantifiées selon une méthodologie rigoureuse, deviennent alors un indicateur concret de la performance environnementale de son investissement.
Plusieurs fonds d’investissement majeurs se sont déjà engagés dans l’initiative, parmi lesquels Mirova, Eurazeo, Demeter, Ademe Investissement, Daphni ou encore RGreen, illustrant l’intérêt stratégique des Dividendes Climat et leur capacité à fédérer des acteurs de premier plan de la finance durable.
De la même manière, les Dividendes Climat présentent plusieurs intérêts stratégiques pour les entreprises. Grâce à cette métrique fiable et standardisée, elles peuvent quantifier et valoriser la contribution positive de leurs produits ou de leurs services à la neutralité carbone, via le calcul des émissions évitées ou séquestrées, faisant l’objet d’un audit indépendant réalisé par des partenaires accrédités.
Les Dividendes Climat viennent donc renforcer l’image de l’entreprise comme acteur engagé dans la transition, en phase avec les attentes croissantes des consommateurs, des collaborateurs et des investisseurs. Ils participent ainsi à accroître son attractivité, notamment en matière de marque employeur et de fidélisation des talents.
Ils sont aussi un moyen de valoriser ce qu’on appelle le “goodwill climatique”, cette valeur immatérielle liée à la performance environnementale d’une entreprise ou d’un produit. À qualité ou fonctionnalité équivalente, de plus en plus de gens seraient prêts à payer plus cher pour une offre ayant un impact positif sur le climat. Jusqu’alors, cette valeur restait difficile à objectiver, faute de données standardisées et comparables. Les Dividendes Climat permettent désormais de quantifier cet impact, en fournissant des indicateurs clairs et fiables pour évaluer la performance climatique des entreprises et de leurs produits ou services.
En s’engageant dans cette démarche, l’entreprise renforce aussi son attractivité auprès des investisseurs sensibles aux critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG), tout en consolidant sa compétitivité et sa différenciation sur le marché.
Même sans générer de revenus directs, les Dividendes Climat créent de la valeur en améliorant la réputation extra-financière, en permettant d’anticiper les futures exigences réglementaires et en facilitant l’accès à des financements pour des projets à fort impact environnemental. C’est le cas par exemple du groupe Acorus, qui a intégré les Dividendes Climat dans ses relations bancaires en incluant un incentive environnemental dans une partie de sa dette d’acquisition : selon les objectifs atteints chaque année, cela lui permet de réduire ses taux d’intérêt.
Ces dynamiques renforcent la perception de l’entreprise comme un acteur à fort potentiel, contribuant à sa valorisation financière à long terme.
L’étude de l’Université d’Oxford Environmental Reputation Risk and the Cost of Equity révèle que les entreprises adoptant des pratiques proactives face aux risques liés au changement climatique, telles que la réduction des émissions et la transparence en matière de durabilité, bénéficient d'une diminution du coût de leur capital. En revanche, celles qui négligent ces enjeux ou tardent à y répondre voient leur coût des capitaux propres augmenter. Elle souligne ainsi le lien direct entre gestion de la réputation environnementale et performance financière à long terme.
Si les Dividendes Climat offrent des perspectives claires pour renforcer l’attractivité des entreprises et démontrer la contribution des investisseurs à la transition, leur mise en œuvre soulève encore plusieurs interrogations. Comme tout indicateur émergent, ils doivent faire la preuve de leur crédibilité. Comment garantir la robustesse et la comparabilité de cet indicateur encore émergent ?
L'un des challenges majeurs réside dans la difficulté de mesure et de standardisation. Ce concept encore émergent, dont la mise en œuvre repose sur des hypothèses de marché et des méthodologies de calcul complexes, peut faire l’objet de certaines réserves.
Mais rappelons que cela fut également le cas aux prémices du Bilan Carbone. À son lancement au début des années 2000, la méthode soulevait elle aussi des interrogations : incertitudes sur les facteurs d’émissions, hétérogénéité des périmètres, absence de cadre réglementaire… Pourtant, grâce à la mobilisation des acteurs et à un effort collectif de structuration, le Bilan Carbone est devenu une référence pour mesurer l’empreinte des organisations.
De la même manière, les Dividendes Climat gagneront en crédibilité en s’appuyant sur les bases existantes et en poursuivant le travail d’enrichissement du Protocole élaboré par l’Association. Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un outil de compensation carbone mais d’une information extra-financière, le risque de fraude ou de greenwashing est limité. La précision de cet indicateur ne pourra ainsi que s’améliorer avec le temps, grâce à l’engagement de toutes les parties prenantes.
A long-terme, l’objectif de l’Association est bien de réussir à promouvoir et à instaurer la création d’un référentiel international standardisé et largement adopté pour la comptabilisation des dividendes climat, soutenu par les principales institutions scientifiques, normatives et financières engagées dans la lutte contre le changement climatique, telles que le GHG Protocol, la SBTi ou le CDP.
L’absence de valeur financière immédiate et directe dans une économie encore davantage tournée vers la performance financière que climatique est un frein pour la transition.
Pourtant, comme évoqué précédemment, les avantages stratégiques des Dividendes Climat sont nombreux (image de marque, attractivité RH, différenciation commerciale, anticipation des réglementations,...) et il est clair que ceux-ci ont un impact direct sur la valeur perçue et donc sur la valorisation financière à moyen-terme. La création de valeur climatique est de plus en plus intimement liée à la création de valeur économique et vice-versa.
Selon une récente étude du Boston Consulting Group (BCG), environ 25 % des entreprises engagées dans des initiatives de décarbonation constatent un gain net annuel équivalent à plus de 7 % de leur chiffre d’affaires, soit en moyenne 200 millions de dollars par an pour chacune d'entre elles. Par ailleurs, 40 % des entreprises estiment qu’elles pourraient générer au moins 100 millions de dollars de bénéfices supplémentaires sur trois ans grâce à la réduction de leurs émissions. Ces chiffres confirment que la transition climatique peut être un puissant levier de création de valeur économique.
En rendant tangible l’impact positif d’une entreprise, les Dividendes Climat favorisent une perception renforcée auprès des investisseurs, stimulent l’attractivité et contribuent à une valorisation financière durable. Même si cette création de valeur ne se traduit pas immédiatement par des flux monétaires, elle consolide à moyen terme la compétitivité et la résilience de l’entreprise.
L’ambition à long-terme de l’association est d'intégrer les bénéfices climatiques dans les systèmes comptables et de reporting extra-financiers pour leur donner une valeur monétaire reconnue avec des incitations fiscales par exemple. Un livre blanc récemment publié ouvre déjà la voie, en introduisant les fondements de ce cadre d’analyse financière.
Un des autres défis de l’Association Climate Dividends concerne l’intégration dans le cadre réglementaire et la reconnaissance juridique de ce nouveau concept. Les Dividendes Climat sont déjà reconnus par plusieurs référentiels : ils sont par exemple intégrés dans Net Zero Initiative ou Impact Score, et cités dans des travaux d’acteurs de référence tels que GFANZ ou l’Institut de la Finance Durable.
Par ailleurs, depuis le lancement en 2022, l’Association s’attache, grâce aux entreprises ayant pris part aux phases pilote du projet, à élaborer des lignes directrices nationales et sectorielles pour encadrer la mise en œuvre des Dividendes Climat.
L’un des objectifs clés de ces travaux est d’assurer un alignement méthodologique entre entreprises d’un même secteur : définir des règles communes pour le calcul des émissions évitées ou séquestrées, garantir la comparabilité des résultats et renforcer la crédibilité des démarches. Ce cadre sectoriel vise ainsi à structurer une approche cohérente, reproductible et compatible avec les exigences des référentiels extra-financiers existants.
A terme, l’enjeu est de faire reconnaître juridiquement les dividendes climat dans le cadre de réglementations environnementales internationales et de favoriser leur intégration dans les référentiels de reporting extra-financier à l’image de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Cela permettra de rendre ces démarches visibles, comparables et auditées selon des standards partagés.
Un risque qui a parfois été évoqué par les plus sceptiques est celui de la concentration des investissements sur les grosses entreprises génératrices de dividendes climat au détriment des plus petites. Un axe d’optimisation sur lequel travaille déjà l’association est l’ajustement des règles et des critères d’éligibilité pour ne pas favoriser mécaniquement les grandes structures ayant un volume d’émissions logiquement plus élevé.
C’est également l’occasion de rappeler l’importance d’intégrer ce nouvel indicateur dans une approche et une stratégie globale et de ne pas s’intéresser qu’au nombre total de dividendes climat distribués. En effet, pris isolément, ce chiffre n’a pas de véritable signification : il convient de l’intégrer dans des logiques financières, à travers des ratios pertinents (montant investi vs dividendes climat, chiffre d’affaires vs dividendes climat,..), et de le mettre en regard avec d’autres indicateurs d’impact comme les émissions induites issues du Bilan Carbone.
Le Bilan Carbone et les Dividendes Climat sont deux approches complémentaires pour intégrer les enjeux climatiques dans la stratégie bas carbone globale d’une entreprise. Ils sont tous deux des éléments essentiels mais non suffisants.
Le Bilan Carbone constitue le point de départ indispensable, destiné à mesurer la quantité d’émissions de gaz à effet de serre, afin d’établir ensuite un plan d’action de réduction. Les Dividendes Climats doivent être appréhendés parallèlement, comme un levier supplémentaire, permettant d’une part de mesurer et valoriser l’impact climatique “positif” d’une entreprise, et d’autre part d’attirer les fonds au bon endroit pour accélérer les initiatives en faveur de la décarbonation.
Contrairement à la “compensation” carbone, il ne s’agit pas ici de “neutraliser” ses propres émissions mais de documenter la contribution à la décarbonation à l’échelle du système.
Les émissions évitées - et par extension, les Dividendes Climat qui les valorisent - ne doivent donc pas être perçues comme un substitut à un plan de réduction ambitieux, mais comme un complément qui rend visible une autre dimension de l’action climatique. A ce titre, ils peuvent d’ailleurs être mentionnés juste après le Bilan Carbone, dans une nouvelle catégorie appelée “Contribution à la neutralité carbone”.
Le Dividende Climat s’impose progressivement comme un nouvel indicateur d’investissement conçu pour encourager entreprises et investisseurs à contribuer activement à la transition bas carbone. En 2 ans, déjà plus de 30 entreprises et une centaine d’investisseurs se sont engagés dans cette démarche qui s’inscrit dans une approche globale et collective.
Il ne doit pas être perçu comme une solution de compensation des émissions, mais bien comme un indicateur complémentaire à considérer dans une stratégie d’ensemble de mesure d’impact. L’ADEME rappelle d’ailleurs qu’une organisation ne doit valoriser ses émissions évitées que si elle a au préalable agi sur ses propres émissions et promu la réduction des émissions dans sa chaîne de valeur. Les Dividendes Climat apportent une perspective additionnelle en soutenant et en valorisant les initiatives qui permettent de réduire les émissions à l’échelle d’un secteur ou d’une chaîne de valeur.
Toutefois, son adoption à grande échelle repose sur plusieurs défis majeurs. La transparence et la réglementation seront essentielles pour éviter tout risque de greenwashing et garantir la fiabilité des données. La méthodologie de mesure des émissions évitées (choix et calcul du scénario de référence, modèle d’attribution des émissions évitées dans la chaîne de valeur, etc) doit être rigoureusement définie et continuellement affinée pour assurer une attribution juste et crédible des Dividendes Climats.
Encore récent, ce nouvel outil extra-financier doit gagner en reconnaissance et en légitimité pour s’imposer comme un indicateur de confiance, destiné à orienter les investissements vers des projets à fort impact dans la lutte contre le changement climatique. L’ambition et donc le challenge des années à venir sera d’en faire un indicateur compris, reconnu et largement utilisé dans tous les secteurs. Son intégration dans les reportings extra-financiers ou dans les processus de due diligence par exemple sera déterminante pour asseoir son utilité auprès des investisseurs et renforcer la valorisation des entreprises engagées dans la transition bas carbone.
Comme le souligne Laura Beaulier, CEO de l’association, 2025 marque déjà des avancées significatives. La sortie de la version 3 du protocole, issue d’une large consultation publique, a permis de confirmer les choix méthodologiques et d’améliorer le process d'émission et de distribution des Dividendes Climat. Afin de faciliter l'application et de garantir la standardisation des méthodes, des déclinaisons sectorielles sont en cours de publication sous forme de « cookbooks » dans des domaines clés tels que les énergies renouvelables, la rénovation, la géothermie ou encore la mobilité.
La formalisation d’un premier cadre d’analyse financière sous forme d’un livre blanc et l’introduction de ratios dédiés, conjuguées à l’implication croissante de fonds d’investissement, confirment par ailleurs l’intérêt du marché.
Le dispositif continue de se structurer pour accompagner cette montée en puissance tout en garantissant sa qualité et sa crédibilité : certification des auditeurs afin d’harmoniser la revue par un tiers indépendant, formation de partenaires référencés pour accompagner directement les entreprises, et reconnaissance croissante dans l’écosystème (intégration dans l’Impact Score du MIF, mention dans les rapports de référence du WBCSD, reconnaissance par Bpifrance,…). Les Dividendes Climat s’affirment progressivement comme un outil de référence de la finance durable, promis à un rôle grandissant dans les années à venir.