Or, ces investissements peinent à décoller : selon le State of Climate Action 2023 (WEF), plus de la moitié des besoins annuels de financement climatique n’étaient pas couverts en 2022, soit un déficit de près de 2000 milliards de dollars sur l’année, au niveau mondial.
En parallèle, les impacts positifs de ces solutions sont encore peu documentés et valorisés. Faute d’outils adaptés, les entreprises peinent à démontrer leur contribution réelle au climat, ce qui freine leur adoption à grande échelle.
C’est pour répondre au mieux à ces problématiques qu’ont été imaginés les Dividendes Climat. Cette initiative, portée par l’Association Dividendes Climat, association française à but non lucratif, a été co-fondée fin 2022 par plusieurs acteurs engagés dans la transition écologique dont l’ADEME, Team For The Planet ou encore Mirova et soutenue depuis par d’autres partenaires stratégiques comme Eurazeo.
Sa mission ? Encourager et accélérer le financement de la transition écologique en orientant les investissements vers les entreprises engagées dans la lutte contre le changement climatique. Comme l’explique Laura Beaulier, Directrice Générale de l’Association Climate Dividends, l’objectif est de « rendre mesurable et valorisable l’impact climatique positif des entreprises » - un volet encore peu exploré, l’attention s’étant jusqu’ici surtout portée sur l’empreinte carbone et sa réduction.
Les Dividendes Climat proposent ainsi un nouvel angle de lecture en complément d’outils déjà mobilisés par les entreprises engagées dans la transition comme le Bilan Carbone.
Les Dividendes Climat sont un nouvel indicateur extra-financier destiné à mesurer et à valoriser la contribution climatique positive d’une entreprise en termes d’émissions de CO₂ évitées ou séquestrées.
Alors que le Bilan Carbone permet d’évaluer l’empreinte carbone d’une entreprise, en mesurant les émissions de gaz à effet de serre (GES) induites par son activité, les Dividendes Climats constituent un outil de mesure visant à quantifier et à promouvoir l’impact positif d’une entreprise sur le climat. Plus concrètement, une tonne d’émissions évitée ou séquestrée grâce à l’activité de l’entreprise permet à celle-ci d’émettre - et donc de distribuer ensuite - un Dividende Climat.
Pour rappel, toutes ces notions ont été synthétisées dans le référentiel de la Net Zero Initiative publié en 2020. Ce tableau de bord présente les 3 piliers sur lesquels les entreprises doivent tenter d’agir simultanément et de manière complémentaire pour maximiser leur contribution à la neutralité carbone mondiale :
Les Dividendes Climats viennent donc valoriser les efforts menés par l’entreprise sur les piliers B et/ou C.
A noter qu’ils peuvent concerner tous types d’entreprises - start-up, PME, grand groupe… - dès lors qu’elles sont en mesure de démontrer un impact climatique positif et mesurable. Ce sont surtout les structures dont l’activité permet d’éviter ou de réduire les émissions de leurs clients, ou de séquestrer des émissions de gaz à effet de serre qui sont concernées. Cela inclut notamment les entreprises de l’économie circulaire, des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique, du bâtiment bas-carbone, de la mobilité électrique ou encore de l’agriculture durable. Ce n’est donc pas la taille ou le secteur qui prime - à l’exclusion des activités directement liées aux énergies fossiles - mais bien la capacité à justifier, sur la base de données robustes, une contribution effective à la transition climatique, dans le respect de critères d’éligibilité spécifiques.
Exemple : prenons le cas d’une entreprise qui commercialise des climatiseurs sans HFC (gaz hydrofluorocarbures connus pour leur impact très nocif sur l’environnement). Supposons qu’elle ait vendu 10 000 climatiseurs écologiques cette année. Chaque appareil remplace un modèle classique bien plus émetteur en fin de vie, notamment à cause des fuites de fluides frigorigènes.
En comparant les émissions des deux technologies, on peut estimer les émissions évitées (EE), qui servent de base au calcul des Dividendes Climat.
Emissions évitées : 7 000 - 40 = 6 960 tCO₂e
Cette quantité représente le potentiel de Dividendes Climat que l’entreprise peut générer chaque année.
Un investisseur qui détiendrait 15 % du capital de cette entreprise pourrait alors revendiquer 15 % des émissions évitées et par conséquent, percevoir 1 044 Dividendes Climat sur l’année.
Si les Dividendes Climat sont parfois présentés comme le pendant climatique des dividendes financiers (en ce sens qu’ils sont une mesure de création de valeur environnementale, redistribuée aux actionnaires chaque année), il faut toutefois rappeler qu’ils n’ont pas de valeur financière : ils ne peuvent être ni achetés, ni vendus, ni cédés à une autre entité. Ils visent à traduire, sans recours à une valeur monétaire, les bénéfices environnementaux créés et partagés par l’entreprise.
Les Dividendes Climat ne sont pas un outil de “compensation” des émissions. Contrairement aux crédits carbone, qui peuvent être échangés sur des marchés ou utilisés pour compenser des émissions, les Dividendes Climat ne sont pas un actif transférable ou monétisable et ils ne sont pas destinés à réduire le Bilan Carbone d’une entreprise !
Ils constituent une information complémentaire à appréhender en parallèle des émissions de l’entreprise.
Concrètement, comment une entreprise doit-elle procéder pour émettre et distribuer des dividendes climat ? Voyons les différentes étapes du processus :
Il est important de rappeler que le concept d'émissions évitées n’a pas été inventé par l’Association Climate Dividends. Celle-ci s’est appuyée sur les travaux d’initiatives comme la Net Zero Initiative ou le WBCSD et collabore continuellement avec de nombreux autres acteurs pour renforcer et pour fiabiliser la méthodologie.
Les émissions évitées sont estimées au regard de ce que l’on appelle un scénario de référence (ou baseline) qui traduit la situation la plus probable qui aurait eu lieu en l’absence du produit ou service étudié. Ce scénario est également basé sur ce qu’on appelle la “meilleure technologie disponible” avant la mise en œuvre de l’innovation, c'est-à-dire celle affichant le meilleur - ou devrait-on dire le moins mauvais - Bilan Carbone (d’où l’importance d’une mise à jour régulière des scénarios de référence au fil des avancées technologiques).
Une solution évite des émissions si elle permet une réduction par rapport à la situation de référence, c’est-à-dire, si les émissions induites sont plus faibles dans la situation avec la solution. Dans ce cas, les émissions évitées sont données par la différence d’émissions induites entre les deux situations (les émissions dans la situation avec la solution commercialisée vs les émissions dans la situation du scénario de référence).
Exemple d’un spécialiste de la seconde main : Easy Cash
Pour le calcul des émissions évitées, Aktio a notamment accompagné Easy Cash, une entreprise qui opère dans le secteur de la seconde main, via l’achat et la revente de produits d’occasion et/ou reconditionnés, et dont l’objectif était, entre autres, de soumettre sa déclaration de Dividendes Climat.
Le projet a débuté par l’élaboration d’un questionnaire adressé à un échantillon de clients Easy Cash. Ce questionnaire avait deux objectifs principaux :
1. Mesurer la durée moyenne de détention du produit dans "sa première vie" (question adressée aux clients vendeurs) et estimer la durée moyenne de "sa seconde vie" (question adressée aux clients acheteurs) afin d’établir la durée de détention additionnelle moyenne par type de produit.
À titre de comparaison, la durée de détention moyenne d’un smartphone neuf non revendu est estimée à 3 ans : le scénario de réemploi atteint donc une durée supérieure (5,2 ans), ce qui permet de considérer qu’il génère un bénéfice environnemental.
2. Mesurer l’effet rebond : en évaluant le pourcentage d’achats neufs réellement évités (il s’agit pour ce faire de distinguer un achat de seconde main venant remplacer l’achat d’un produit neuf vs un achat de seconde main “compulsif” ou “d’opportunité”).
Ce schéma illustre la logique de calcul des émissions évitées grâce à la seconde vie des produits vendus par Easy Cash. On compare deux scénarios sur une même durée d’usage totale :
Dans chaque scénario, les émissions sont calculées à partir des facteurs d’émission associés aux différentes phases du cycle de vie (fabrication, utilisation, fin de vie, etc.).
Les émissions évitées correspondent à la différence entre ces deux scénarios, pondérée par le taux de substitution (part des achats Easy Cash remplaçant un achat neuf), puis corrigée de l’effet rebond (achats additionnels non substitutifs).
La formule appliquée est la suivante :
👉 Pour aller plus loin sur le sujet des émissions évitées, consultez notre article Comment calculer et valoriser ses émissions évitées ?.
Les Dividendes Climat offrent une lecture complémentaire au Bilan Carbone en ouvrant une perspective stratégique : quantifier et promouvoir l’impact positif d’une entreprise sur le climat. Dans le deuxième volet de cet article, nous explorerons plus en détail les bénéfices concrets des Dividendes Climat pour les entreprises et les investisseurs, ainsi que les preuves d’impact déjà disponibles.